Entre cinq murs

Travailler en confinement

13 mars 2020

Vendredi 13. Aux nouvelles, il est annoncé que les écoles ferment, ainsi que les restaurants, les bibliothèques, etc. Avant de quitter le bureau, je remplis rapidement mon sac à dos avec les dossiers des familles présentes dans les maisons de retour et les rapports de travail, ainsi que mon ordinateur portable.

16 mars 2020

Je fais une promenade matinale avec les enfants et je les installe à table avec leurs devoirs. Je me retire et m’installe devant l’ordinateur portable. Notre première réunion d’équipe en ligne commence à 9h30. Les collègues apparaissent l’un après l’autre sur l’écran. J’éprouve un sentiment un peu étrange d’entrer chez eux comme ça.

Mais bien vite, je clique pour fermer l’écran. En bas, les enfants se disputent. Je descends les escaliers, je m’interpose puis je leur permets de jouer comme à l’ordinaire. Les devoirs seront pour plus tard. Je retourne rapidement à la réunion. Comme à chaque fois, nous faisons le point sur la situation dans les centres fermés et les maisons de retour, sur les actions politiques, sur les messages diffusés par le JRS et sur les autres nouvelles. Toutes les réunions de travail en présentiel, en effet, et toutes les visites sont annulées.

Ensuite, je prépare le dîner et je me concentre sur l’encadrement des enfants. Une fois leurs devoirs scolaires terminés, je m’installe à nouveau devant l’écran. J’appelle un collègue en ligne. La conversation m’aide à me recentrer sur mon travail.

C’est le printemps

Les feuilles commencent à pousser sur les branches et les fleurs mettent la nature en couleurs. Des drapeaux blancs flottent aux maisons. Les gens restent à l’intérieur. Nous aussi, au JRS Belgium.

Les frontières sont fermées et les avions restent cloués au sol. Le JRS et ses partenaires demandent aux avocats d’obtenir des libérations en chambre du conseil car les personnes détenues dans les centres fermés ne peuvent pas être rapatriées. Un grand nombre de ces réfugiés sont libérés et se dispersent dans les rues vides.

Ceux qui restent sur place ne reçoivent aucune explication sur les raisons pour lesquelles ils ne sont pas libérés. Ils sont confus et en colère. De plus, ils ne se sentent pas à l’abri du coronavirus. Les gardiens déambulent sans masque buccal.

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Entre mes quatre murs, je trouve un rythme pour, à la fois, travailler et vivre avec les enfants. Le temps de travail est déchiqueté et étiré. C’est comme si j’avais devant moi une mer de temps. Parfois, cependant, la mer devient trop calme. Alors je ne fais pas grand-chose, il me manque les visites aux familles dans les maisons de retour et je m’inquiète pour l’avenir. Parfois, la mer est agitée. Comme ces moments où le Covid-19 frappe tout près. Une amie vient de perdre sa dernière sœur. Un ami est hospitalisé depuis des semaines. Dans ces moments-là, le cinquième mur, celui de la distanciation sociale, se met lourdement en travers de la route.

J’appelle régulièrement les familles séjournant dans les maisons de retour, du moins celles que nous connaissions d’avant le lockdown. Car je ne peux pas suivre d’autres familles. Les autorités ne nous donnent pas leurs coordonnées. C’est dommage.

En tant que JRS Belgium, nous restons une équipe dynamique et enthousiaste. Par le biais de chats et de réunions en ligne, nous collaborons à des articles, rédigeons des rapports, posons des questions aux centres fermés et élaborons notre stratégie de sortie de crise.

25 mai 2020

Un homme est arrêté en Amérique, tenu au sol et étouffé. Sa couleur de peau ne lui donne aucune chance. Je ne peux pas expliquer cela à mes enfants.

11 juin 2020

Je reçois le courriel d’une famille qui vient d’obtenir une décision positive : "Nous cherchons un endroit où loger. Peux-tu nous dire, s’il te plaît, quelle partie de la Belgique est favorable aux immigrés ? » Je vais me taire quelques minutes puis les rappeler. Je leur parle du marché du logement et des défis auxquels sont confrontés les gens comme eux et je leur donne quelques conseils. Par contre, je suis incapable de répondre à leur question initiale.

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C’est l’été

Les champs sont se couvrent de céréales et de plants de maïs. Nous continuons à travailler avec enthousiasme. Le gouvernement est informé de notre souhait de reprendre les visites. À partir de la mi-juillet, les visites seront à nouveau autorisées.

J’ai pu quitter mes quatre murs. Nous retournons au bureau pour des réunions et des consultations. Le cinquième mur, l’interdiction d’approcher les autres, est toujours là. Je n’arrive pas encore à m’y habituer tout à fait.

Ce sera l’automne

La moisson est terminée. Les oiseaux sifflent plus doucement. La pandémie du coronavirus se trouve sur Wikipédia. Nous l’avons tous vécue ensemble. Chacun à sa manière. Pour certains, il s’agissait d’une période de repos, de réflexion ou de découverte de leur environnement. Pour un autre, la vie était en suspens et c’était une période d’anxiété, de pauvreté accrue ou d’enfermement entre quatre sombres murs.

Chez nous, c’était une période unique. Faire retour sur soi-même 24 heures sur 24 pendant trois mois. L’histoire s’écrit maintenant. J’aime participer à son écriture.

Kristien Vliegen
visiteuse en maisons de retour